Contrôle d’équivalence et contrôle de proportionnalité des saisies pénales
Un arrêt de la chambre criminelle du 28 juin 2023 (Crim., 28 juin 2023, n°22-85.527) a donné à la chambre criminelle de la Cour de cassation l’occasion de rappeler la distinction entre deux notions souvent confondues par les praticiens, à savoir le contrôle d’équivalence et le contrôle de proportionnalité.
Tandis que le contrôle de proportionnalité d’une saisie pénale implique une appréciation reposant sur les critères de la gravité des faits et de la situation personnelle de l’intéressé, le contrôle d’équivalence constitue un examen mathématique de la situation.
La validité d’une saisie pénale repose pour l’essentiel sur le caractère confiscable du bien saisi. Parmi les types de confiscations de l’article 131-21 du Code pénal, l’alinéa 9 dispose que « la confiscation peut être ordonnée en valeur ». Il en va donc de même de la saisie pénale, comme le précise, à propos des saisies pénales spéciales, l’article 706-141-1 du Code de procédure pénale (C.pr.pén., art.706-141-1 : « La saisie peut également être ordonnée en valeur »). Dans ce cas, le bien n’est pas saisi parce qu’il aurait un lien avec l’infraction, mais pour la valeur qu’il représente, valeur qui doit inférieure ou égale à la valeur du bien qui aurait pu être saisi à titre d’instrument (C.pén., art.131-21, al.2), d’objet ou de produit de l’infraction (C.pén., art.131-21, al.3). Si la valeur du bien saisi en valeur dépasse la valeur du bien confiscable en nature, la levée de la saisie pénale est impérative (par exemple Crim., 10 mars 2021, n°20-84.966).
Dans l’arrêt du 28 juin 2023, à l’occasion d’une procédure diligentée des chefs de soumission d'une personne vulnérable ou dépendante dont au moins un mineur à des conditions d'hébergement indignes, non-respect de mauvaise foi d'une interdiction d'habiter ou d'accéder à un local faisant l'objet d'un arrêté de traitement de l'insalubrité et mise à disposition d'un local aux fins d'habitation dans des conditions de suroccupation malgré mise en demeure, un bien immobilier appartenant à un couple mis en cause a fait l’objet d’une saisie en valeur de l’instrument de l’infraction. Le bien immobilier ayant servi à commettre les infractions faisant l’objet de l’enquête avait été vendu pour la somme 133.916,23 euros de sorte que la saisie pénale ordonnée par le juge des libertés et de la détention portait sur un autre bien appartenant aux mis en cause. Ce second bien étant étranger à l’affaire, en ce qu’il ne constituait pas l’instrument des infractions poursuivies, la saisie avait été effectuée en valeur. Constatant que la valeur du bien saisi était de 269.000 euros, la chambre de l’instruction a cantonné la saisie pénale à la somme de 133.916,23 euros « dans le respect du principe de proportionnalité » (Sur la possibilité de cantonner une saisie pénale immobilière en valeur au montant saisissable en nature : Crim., 25 mai 2022, n°21-85.019). Or, contrairement à ce qu’elle prétendait, la chambre de l’instruction opérait un contrôle d’équivalence et non un contrôle de proportionnalité dès lors qu’elle se bornait à vérifier que la valeur du bien saisi en valeur ne dépassait pas la valeur du bien immobilier ayant été l’instrument des infractions.
Au visa de l’article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle qu’« hormis le cas où la saisie, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue l'objet ou le produit de l'infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé, au regard de la situation personnelle de ce dernier et de la gravité concrète des faits, lorsqu'une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une saisie de patrimoine ».
Ainsi, dès lors qu’une telle garantie était invoquée, la chambre de l’instruction devait effectivement réaliser un contrôle de proportionnalité de la mesure s’agissant de l’atteinte portée au droit de propriété.
En effet, le contrôle d’équivalence doit être effectué dès lors que la saisie est opérée en valeur tandis que le contrôle de proportionnalité au regard de l’atteinte au droit de propriété n’est exclu qu’en cas de saisie, en nature ou en valeur, de l’objet ou du produit de l’infraction.
Ainsi, lors d’une saisie en valeur de l’objet ou du produit de l’infraction, (fondée sur les alinéas 3 et 9 de l’article 131-21 du Code pénal) seul le contrôle d’équivalence a vocation à s’appliquer. Lorsque la saisie est fondée sur l’alinéa 5 ou l’alinéa 6 de l’article 131-21 du Code pénal, qui renvoient respectivement à la confiscation reposant la présomption d’illicéité et la confiscation de patrimoine, seul le contrôle de proportionnalité s’appliquera et il sera réalisé d’office par les juridictions. En cas de saisie en nature de l’objet ou du produit de l’infraction, (fondé sur l’alinéa 3 de l’article 131-21 du Code pénal) aucun de ces deux contrôles n’est applicable. En cas de saisie en valeur de l’instrument de l’infraction, ce qui était le cas en l’espèce, les deux contrôles s’appliquent cumulativement, sur invocation s’agissant du contrôle de proportionnalité.
Au stade de la saisie pénale, il est jurisprudence constante que le contrôle de proportionnalité repose sur la situation personnelle de l’intéressé et la gravité concrète des faits. Contrairement au contrôle d’équivalence, les juges disposent d’une marge d’appréciation plus grande de ce qui est ou non proportionné. En l’espèce, le couple mis en cause semblait notamment faire valoir le fait que le bien immobilier saisi constituait leur domicile. Il peut ainsi être précisé que les juges doivent contrôler « le caractère proportionné de l'atteinte portée par la saisie au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien saisi lorsque cette garantie est invoquée » (Crim., 9 novembre 2022, n°22-81.157) quel que soit le fondement de la saisie. (voir également, s’agissant de la peine de confiscation : Crim., 19 avril 2023, n°22-83.994 ; s’agissant d’une remise à l’AGRASC : Crim., 1er juin 2023, n°22-86.463)